Behind the scene

Ce qu’il y a de Dandoy chez les Helson

Pour ce deuxième épisode du Journal de la Maison Dandoy, Clara, notre responsable du contenu, s’entretient avec Bernard Helson et ses fils, Alexandre et Antoine.


C’est un jeudi d’automne ensoleillé et comme d'habi­tude, je suis en retard. Alors que j’arrive en courant rue au Beurre, j'aperçois Bernard Helson, directeur de la Maison Dandoy, et ses deux fils, Alexandre et Antoine, en train de poser devant la vitrine. Derrière l'objectif, Noémie (celle qui fait battre vos cœurs sur les réseaux) tente de les capturer sous leur meilleur jour. Les trois ont l'air, pour ne pas dire coincés, plutôt intimidés de prendre la pose devant tant de monde. Car il a fallu qu’aujourd’hui, pour la première fois depuis la fin du confinement, il n'y ait jamais eu autant de clients devant la boutique. Cette coïncidence est peut-être un bon présage. Si père et fils se font prendre en photo aujourd’hui, c’est pour accompagner l’annonce d’un grand changement : après trente-sept ans dont vingt-trois à la direction, Bernard Helson laisse le futur de l’entreprise familiale entre les mains de ses fils.

Une séance photo pas comme les autres

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Mis à part que je suis tout le temps en retard, il y a autre chose que vous devriez savoir sur moi : j’ai des théories sur à peu près n’importe quoi. Notamment une selon laquelle on voit plus facilement ce qu’une personne tente de cacher quand on l’observe se faire prendre en photo. Alexandre, le fils aîné, a l’air un peu troublé par l’exercice et Antoine, lui, sourit de toutes ses dents comme si sa vie en dépendait. Cela aurait-il quelque chose à voir avec le fait de graver en image le départ de leur père, après des années à travailler à ses côtés ? Comme s'il avait deviné mes pensées, Alexandre me lance : J'ai le soleil dans les yeux, c’est embêtant. Bernard Helson, d’habitude circonspect et réservé, a aujourd’hui devant l’objectif un air bien malicieux. Quand Noémie suggère à Antoine et Alexandre de se détendre « comme leur père », Bernard Helson dit en riant à ses fils : Vous entendez ? Il faut faire comme moi, et cela achève de l’amuser.


Une fois la séance photo terminée, on monte à l'étage au-dessus de la boutique, là où tout a commencé pour Bernard Helson. Je commence par lui demander comment il se sent depuis qu’il a quitté la Maison Dandoy. En s'installant derrière le bureau en bois, où Valère Rombouts-Dandoy puis son fils Jean se sont succédé avant lui, il me répond : C'est bizarre mais finalement moins que je l'imaginais. Je hoche la tête, je suis également de ceux qui se trouvent souvent réconfortés d’avoir imaginé le pire. Bon, quand il fait gris, il manque quand même quelque chose le matin. Mais Bernard Helson ne risque pas de manquer d’activités. Parti depuis moins d’un mois, il est déjà repassé dire bonjour aux collaborateurs des bureaux et de l’atelier, au cas où quelqu'un aurait trouvé le temps de l’oublier. Et puis la Maison, il la quitte pour mieux la raconter, en écrivant ses Mémoires. En souriant, il m’explique qu’il aura sans doute besoin de plusieurs tomes vu toutes les anecdotes qu’il a accumulées au cours des années. Avis aux éditeurs qui nous lisent…

Des biscuits sans chichis

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Bernard Helson est entré dans l’entreprise pour travailler au côté de son beau-père Jean Rombouts-Dandoy, en 1984. Alexandre m’explique : il a tout fait d'un coup, il a rencontré notre mère, ils se sont mariés, il a commencé à travailler à l'atelier et ils m’ont eu dans la foulée. Bernard tempère aussitôt : mais non, t'étais pas encore là toi, t'es arrivé en 86. A la mort de Jean en 1998, il hérite du statut qu’il confie à ses fils aujourd’hui. Mais de génération en génération, le monde et la tâche de dirigeant d’entreprise changent. Malgré l’évolution du rôle et de ses challenges, une envie reste identique : celle de faire des biscuits sans chichis, de manière vertueuse et authentique.

Antoine Helson

On aimerait une croissance saine pour l’entreprise. Notre priorité ne sera pas d’améliorer les chiffres au prochain trimestre. On veut penser sur long-terme et laisser à nos enfants quelque chose dont on sera fiers.

Dans leur trois parcours respectifs, qui mériteraient un article à eux seuls, il y a une chose qui ne diffère pas : ils ont tous commencé à l’atelier. La question ne s’est jamais posée de démarrer ailleurs. Il est impensable de représenter la Maison sans en connaître sur le bout des doigts (littéralement) les biscuits. A leurs yeux, c’est du bon sens pur et simple. Et ce bon sens, ils le doivent aux générations Dandoy qui ont vécu la guerre. Leçons tirées : ne rien jeter, ne rien changer inutilement et miser sur un artisanat durable. On leur a souvent dit, pendant ce qu’on appelle bizarrement les Trente Glorieuses, qu’ils avaient raté le coche de l’industrialisation. Avec un peu de recul, ils se disent maintenant que c’est sans doute leur plus grande réussite. Cette volonté de rester fidèles à eux-mêmes se sent : il y a dans les rapports professionnels une bienveillance et une volonté de privilégier les relations humaines, le bien-être au travail et le sens de la famille. Je ne suis pas en train de vous dire que les bureaux et l’atelier ressemblent au monde innocent et gentillet des Teletubbies; mais ici on se connait, on se parle et surtout, on n’a pas peur de reconnaître ses failles.

Travailler en famille

Je leur demande comment c’est de travailler en famille. Au bout de leurs lèvres, on peut deviner la tournure en eau de boudin qu’ont dû prendre quelques dîners. Et le poids que cela a pu être pour ceux qui ont parfois été appelés « les pièces rapportées » (si Alexandre et Antoine ne portent plus le nom Dandoy c’est que leur père, Bernard Helson, est une ‘pièce rapportée’ qui a épousé Catherine, la deuxième fille de Jean et Christiane Rombouts-Dandoy). Alexandre et Antoine se fixent le défi de ne pas reproduire les erreurs du passé : on ne parle plus de Dandoy quand on se voit en famille, histoire de préserver un équilibre. Et puis à partir de maintenant, on est tous des pièces rapportées : tout le monde fait partie de l’aventure au même titre, même vous, me dit Alexandre en évoquant Noémie, qui est en train de prendre une belle photo de Bernard Helson et Antoine, et moi qui tape leurs histoires à l’ordinateur. Je reconnais bien là son côté idéaliste et rêveur, qu’il tient, m’informe Bernard Helson, de son grand-père Jean. Jamais derrière son bureau et toujours par monts et par vaux à lancer des projets.

Seulement (et exactement) deux années séparent Alexandre et Antoine. Je ne pouvais pas ne pas partager avec vous cette si parfaite coïncidence qui a, eux, cessé de les étonner : ils sont nés le même jour à deux années d’intervalle. Il faudrait vérifier auprès de leur père mais à la Maison Dandoy deux ans, c’est sûrement déjà la moitié d’un tome d’anecdotes et de souvenirs. En tout cas, Antoine et Alexandre se souviennent des mêmes grandes marmites dans lesquelles tournait la pâte à speculoos. Et sûrement qu’ils y sont tombés tout seuls car, contrairement aux générations précédentes, on ne les y a pas poussés. L’idée de rejoindre l’entreprise familiale est toujours restée dans un coin de leur tête et a priori, elle a bien germé.

Des tomes d’anecdotes

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La discussion est ponctuée d’anecdotes et de digressions. Bernard est souvent rattrapé par une nostalgie pressante qui le fait se lever et se ruer dans la pièce d’à côté, dans laquelle sont rangées leurs archives. Il en revient tantôt avec les disquettes du tout premier ordinateur qu'il a acheté pour la maison en 1985 et qui ressemblent à des VHS (je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître), tantôt avec le vieux registre du personnel de Fernande, l’arrière grand-mère d’Antoine et Alexandre, et sur lequel il nous montre fièrement son numéro d’inscription au registre de la sécurité sociale, en 1984. En fait, résume Antoine, c’est un gène qui doit courir dans la famille : celui d’être incapable de jeter quoi que ce soit. Normal alors que le développement durable soit un concept familier.

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Dans un monde plein d’incertitudes, une entreprise comme la Maison Dandoy est un repère, un phare qui peut montrer la voie.

Il continue : ça fait du bien de voir des choses qui ne bougent pas, une entité rassurante, qui reste là et qui n’a pas l’intention d’aller s’implanter ailleurs ni d’aller plus vite. Alexandre tient tout de même à nuancer : On aimerait faire durer cette histoire avec laquelle on a grandi et tout l’héritage qui vient avec. On ne va pas se mettre à tout jeter mais on est quand même décidés à s’adapter au monde dans lequel on vit. Le fait d'exister depuis bientôt deux siècles ne doit pas être une excuse pour faire "comme on a toujours fait" sous prétexte de préserver nos traditions.


Jeter ou juste changer, Valère l’a toujours refusé. Pas de son vivant. Quand il a pu, Bernard Helson a fait le grand saut. Après un concile familial, il a confié à Base Design la lourde tâche de recréer l’identité de la Maison au début des années 2010. Alexandre se souvient : notre père sentait que c’était nécessaire pour avancer mais je crois qu’il n’avait aucune idée dans quoi il mettait les pieds. A la première réunion, il leur a dit « Vous ne changez pas le logo, et la couleur non plus ! » Ils se mettent tous à rire et Alexandre le charrie gentiment : finalement, tu avais pris un peu de Valère quand même. Je pense qu'Alexandre met le doigt sur quelque chose d'important : on ne se rend jamais entièrement compte de tout ce qui nous a été transmis ni de tout ce qu’on transmet à notre tour. Et c'est sûrement parce que c'est inconscient que c'est si passionnant.